Abécédaire du devenir

Désobéir c’est apprendre à bien vivre

Fragments de pensées – Philo analyse 

Lundi 7 octobre 2023. J’ai envie de me sentir libre, de me défaire des normes qui emprisonnent mes désirs. Je veux découvrir ma singularité, vivre ma vie avec toute la force de mon âme… C’est à ce moment précis que mon intellect rit de toutes ses forces ! Mais je ne tarde à lui répondre : Je sais, Monsieur le Juge (entendement), ça ne se passe pas comme ça ! Je ne me réveille pas un beau jour en me disant que je vais désobéir à quelqu’un ou à quelque chose. Comme je ne me dis pas non plus que je vais obéir à une autorité ou à quelqu’un d’autre que moi. L’activité de l’obéissance est trop sournoise pour qu’elle me soit d’emblée dévoilée. Tout ça pour dire que je ne l’ai pas consciemment ou expressément choisie. Et pourtant, elle a bien réglé ma vie jusqu’à un certain niveau… Depuis mon plus jeune âge on m’a appris à bien me comporter et à composer avec des règles et des lois. Dès lors, j’ai appris à obéir aux règles imposées par mes parents à la maison, pour ensuite aller à l’école et apprendre à obéir à d’autres règles…

Première leçon :  

Famille, école, voici les premières structures auxquelles on appartient sans vraiment l’avoir choisi ; comme on ne choisit pas non plus de porter un prénom ou d’être inscrit sur les listes de l’état civil. Notre naissance signe notre « inscription » à un ensemble, dans une structure familiale pour commencer. Apprendre à reconnaître et à « respecter » ce cadre est l’une des visées primaires de notre éducation. Ce cadre est aussi à l’origine de la nuance morale qui divise le fond de notre existence en bien et en mal. « Bien » pour honorer les règles et les valeurs morales et « mal » pour les contrer.  

Durant ces jeunes années, on ne réfléchit pas à la possibilité de nier l’obéissance à ces « instances ». Notre fonctionnement répond à la satisfaction de nos besoins. On est peut-être ponctuellement désobéissant mais sans plus car, il n’y a pas de fond sensé (analyse) dans ces attitudes, si ce n’est une tentative de tester les limites de ce qui nous engage à rester dans le jeu. De surcroît, on comprend assez vite qu’appartenir à un ensemble est lié à notre besoin d’attention et d’amour et que briser cette appartenance, nous condamnerait à l’exclusion, à une sorte de non-être social. Par exemple, une punition qu’un enfant reçoit n’est pas juste une privation concrétisée dans le monde physique ; c’est surtout une privation d’attention bienveillante, une sortie violente de l’ensemble qui jusque-là l’accueillait avec chaleur et compréhension. Que faire face à cet ostracisme prématuré ? La seule chose qui intéresse un individu exclu c’est d’essayer de revenir à tout prix dans le cadre avec les autres. 

Mais ces « moments réglés » qui ont façonné mon enfance et ma vie d’ado, - là où j’avais perçu l’obéissance comme une sorte de prérequis à l’excellence-, n’ont pas suffi, car une fois adulte, j’ai continué sur ce même parcours quasi linéaire, ordonné par des doses d’obéissance. Université, études, titres, diplômes, travail, travail, couple, mariage ou non, enfants, famille, maison, école, vacances, travail et ainsi de suite…jusqu’au jour où rien n’allait ou presque… Ce beau jour, mon « excellence-obéissance » buta sur une limite infranchissable le temps d’un malaise physique psychique, d’un choc émotionnel accompagné d’une réalisation violente...

Deuxième leçon : 

L’obéissance est le résultat d’une continuité, d’une régularité comportementale voire d’une façon d’être ; ce n’est qu’en ce sens qu’elle fait parler d’elle. Obéir est la pierre de touche de tout système, l’acte par excellence des sujets qui garantit et qui assure la longévité de toute sorte de structure. Suivre les règles d’un système signifie automatiquement se plier à son autorité, - familiale, sociale, politique, économique ou autre-, à une valeur de pouvoir supérieure à la valeur morale de sa propre personne. Pour dire que quelqu’un est obéissant, il faut l’avoir vu à plusieurs reprises opérer et agir de façon servile car, l’importance d’un qualificatif de la sorte est désignée par la création d’une tendance. On l’appelle communément : la servitude. Par conséquent, on pourrait affirmer qu’obéir sonne plus laid que désobéir, si ce dernier verbe embrasse la possibilité d’une discontinuité, d’une résistance quelconque, d’un aveu contre un ordre établi. 

Des phrases-types s’enchainaient dans ma tête nuit et jour : « je suis malheureux », « je n’aime pas ma vie », « je ne suis pas heureux dans mon travail ». Mais, qu’est-ce qui m’arrive ? Est-ce que j’ai vraiment tout raté ?  Comment me sortir de là ?  Ce ne fut qu’au moment d’un trop-plein d’obéissance que la magie a opéré, puisqu’épuisé par tous ces dictats extérieurs à moi, j’ai enfin décidé de désobéir. C’était le cri du cœur. Dire « non » à ce que je faisais avant pour faire autre chose à la place : pour créer ma vie à ma façon et selon mes propres règles : existentielles, pratiques, concrètes. J’ai désobéi à la vie façonnée ou attendue par les autres pour enfin obéir à moi-même et à mes propres aspirations. Ce premier acte de résistance a signé un changement notable dans ma vie : je me suis aussitôt éjecté de la dualité sujet-objet pour enfin devenir autre chose. Je n’étais plus un produit tiré d’un ensemble, mais une personne capable de créer sa vie selon ses propres désirs. Je suis devenu moi-même…

Troisième leçon : 

En termes d’ontologie sociopolitique, l’obéissance est considérée comme une vertu et la désobéissance comme un leurre. L’obéissance engage une forme de régularité chère à la viabilité d’un système alors que la désobéissance surgit comme un effet de surprise qui met à mal sa stabilité et la loi de causalité. Il est évident que dans ce sens, la désobéissance nuit à la cohésion d’un ensemble, puisqu’à ses côtés tout devient spontanéité, étonnement, contingence. 

Cependant, l’acte de désobéir est porteur d’une esthétique certaine car, se défaire des règles, se révolter, se rebeller, dévoile le courage de devenir soi-même accompagné du désir d’exister pleinement. Dès lors, la désobéissance relève d’un cri intérieur, d’une sorte d’incontinence qui fait qu’on ne peut /veut plus se tenir dans le cadre, là où on se trouvait avant en termes d’être (attitude) et de faire (action). Il s’agit d’un événement qui fait parler de lui en tant que différent de ceux qui lui précédaient. Par conséquent, la caractéristique première de la désobéissance sensée est son imprévisibilité, la liant davantage à une sorte de crise, de rupture, comme une distinction nette entre un « avant » et un « après ». 

Libération. Catastrophe, désordre, chaos. Dire « non » porte toutes ces couleurs. Cézanne avait raison. Les plans tombent avec l’apparition de la couleur. Mais le chaos contient toujours la marque d’une nouveauté. Tout miracle réside dans le pouvoir de transformation. Le doute, la peur et l’incertitude déboussolent, mais l’élan vital, inlassablement victorieux, trace des lignes braves sur la chair. Nous sommes des faiseurs de rêves ; et ce sont les rêveurs qui changent le monde. Dorénavant seul dans ma demeure, je m’émerveille de mes découvertes quotidiennes. Des idées saines, des faits nouveaux surgissent de moi sans me prévenir. Quel bonheur, enfin ravi de vivre ! Accepter ma condition et prendre le pouvoir sur ma vie m’a donné la force de renaître. Naviguer dans l’ombre de mon devenir en train de se faire, celle que l’on craint mais celle qui nous sauve. J’ai trouvé le sens de mon existence. Je revisite les équilibres, les liens et les mesures… Je trouve l’authenticité dans le regard. Tout est à refaire mais tant mieux. Voyager c’est apprendre à se connaître.

Fin :

En définitive, ce pourrait être prometteur ou tout juste intéressant de cesser de croire que la vie est un champ de bataille, qu’il faut constamment prouver son mérite d’être là et de faire partie de ce monde. Être-là c’est un cadeau, on ne peut que l’accueillir comme tel. Mais ce dont notre vie est faite est le résultat de notre contribution. Nous pouvons être aussi heureux que malheureux, car nous sommes les maîtres de nos parcours. Nos choix dictent nos conduites et l’issue de nos actions. Quand nous laissons les autres choisir et prendre les décisions à notre place, c’est notre propre vie que nous leur offrons. C’est à notre puissance d’agir que nous renonçons. Le sens de la désobéissance se cache juste là : réanimer le pouvoir de la volonté, activer le courage de décider pour soi. Cette vision passe forcément par les mots qui façonnent nos pensées, car nous sommes des êtres dotés de raison. Tous les qualificatifs que nous attribuons à la vie (dure, compliquée, belle, triste, magique, terrible etc.), actualisent le décor de notre réalité. Si je crois que la vie est dure, je fais de sorte qu’elle le devienne. Chaque mot porte un pouvoir d’actualisation dans le monde réel et je suis l’agent qui le rend effectif. C’est ainsi que ma pensée participe activement à mon devenir. 

Nous avons la liberté de choisir le sens des mots qui dicteront nos vies tout en maîtrisant nos attitudes. Nous pouvons obéir à tout et devenir des esclaves, comme nous pouvons désobéir à tout et devenir des rebelles sans identité et sans but. Mais nous pouvons surtout mesurer nos états d’âme, accepter et contrôler nos émotions et nos pensées. Devenir les êtres singuliers que nous sommes. Créer notre vie à notre image ; cela inclue tant une désobéissance sensée à autrui et aux normes qu’une obéissance pérenne à notre humanité. La dynamique de la vie embrasse les contraires et peut actualiser soit un état de servitude soit un état de résistance. A nous de voir sur quelle lignée nous plaçons le sort de notre devenir !

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